Fort Hercule – Monaco lors de la Révolution

Monaco et ses Princes
Par Henri Métivier

p. 82 :

Un nouveau coup vint bientôt frapper le prince Honoré III ; la Principauté allait lui être enlevée. La révolution suivait à peu près, à Monaco, les mêmes phases que la Révolution française. Jetées dans les voies de leur redoutable modèle, les trois municipalités profitèrent de l’invasion du comté de Nice par l’armée française, sous les ordres du général Anselme, pour s’ériger en Assemblées primaires, afin de déclarer Monaco, Menton et Roquebrune villes libres, et proclamer la République après avoir décrété la déchéance perpétuelle de la maison Grimaldi. Chaque Assemblée primaire élut quatre députés qui, tous réunis à Monaco, s’y formèrent en Convention nationale particulière, chargée de diriger les destinées des nouveaux républicains. Le 20 janvier 1790, un Te Deum solennel fut chanté dans l’église Saint-Nicolas de Monaco, avec accompagnement d’une salve de quarante coups de canon, pour célébrer l’émancipation des citoyens, et une bande de sinistres copistes des saturnales parisiennes pilla les archives du gouvernement 1 et brûla les titres de noblesse du pays.

Nice avait demandé depuis plusieurs mois, par l’organe du citoyen Blanqui, son représentant ad hoc, d’être réunie au territoire français; le 31 janvier 1793 cette annexion fut décrétée, et le comté de Nice forma le quatre-vingt-cinquième département de la République sous la dénomination de département des Alpes-Maritimes.

 

La Convention de Monaco ne manqua pas de suivre l’exemple de Nice; dès le 20 janvier elle adressa à la Convention française la lettre suivante :

« Législateurs,

« La Convention nationale de la ci-devant principauté de Monaco se félicite d’être chargée de vous adresser le vœu de réunion à la République française, unanimement émis par les Assemblées primaires de Monaco, Menton et Roquebrune. Ce vœu est le plus beau sentiment d’un peuple qui vient de conquérir sa liberté, et qui sent toute la dignité de son existence.

« Après avoir déclaré sa souveraineté et son indépendance, et après s’être affranchi du joug avilissant que lui imposait le despotisme d’un prince, il ne pouvait mieux faire connaître qu’il est digne de son élévation qu’en demandant d’être partie intégrante du premier empire de l’univers.

1. C’est alors que furent dispersées des richesses inestimables pour l’historien. Un des premiers soins des princes après leur restauration fut de rassembler ce qu’ils purent retrouver de leurs archives ; mais que de regrettables lacunes ! Il semblerait qu’il ne suffit pas aux révolutions de détruire ce qui est, leur fureur veut aussi anéantir ce qui a été.

« C’est vous qui le protégiez depuis un siècle et demi ; c’est à vous qu’il doit le bienfait signalé d’être libre ; accordez-lui votre fraternité et votre alliance, et il n’y aura plus rien à ajouter aux droits que vous avez à sa reconnaissance et à celle de la postérité la plus reculée. La Convention nationale vous prie d’en agréer les hommages ; l’heureux instant d’être réunie à vous sera l’époque de sa félicité et de sa gloire. »

C’était mal dit, mais encore plus mal pensé. Quelques déclamations que l’on ait faites dans ces dernières années sur la triste sujétion des Monégasques, déclamations que nous réduirons à leur valeur, il est hors de toute contestation qu’avant la Révolution française la principauté de Monaco jouissait d’un calme et d’un bonheur intérieur presque inconnus au reste de l’Europe, et dont elle était redevable autant à son isolement, à son exiguité, aux habitudes patriarcales de son gouvernement, qu’à l’humeur même de ses princes. Mais telles étaient les circonstances que le vertige qui s’empara des habitants de Monaco y trouve son excuse, comme les maux dont ils souffrirent ensuite en furent le châtiment. 1

L’adresse des conventionnels de Monaco fut expédiée à la Convention de Paris par le général Brunet, commandant provisoire de l’armée des Alpes, en l’absence du général Anselme ; le général Brunet y ajouta cette lettre :

« Les municipalités formant la ci-devant principauté de Monaco se sont formées en république; elles ne désirent rien tant que leur réunion à la nation française ; leur peu de fortune ne leur permettant pas de vous envoyer une députation pour solliciter cette réunion, j’ai été chargé de leur part de vous adresser tous les papiers analogues (sic) à cette demande. Si les marques constantes de fraternité et d’attachement à la nation française depuis que nous occupons le pays, sont un titre pour l’obtenir, je leur en dois le témoignage le plus authentique. »

Cette lettre fut renvoyée au Comité diplomatique, et trois semaines après, le jeudi 14 février, sur le rapport de Carnot au nom du Comité diplomatique, la Convention prenant en considération le vœu émis par les habitants de Monaco, décréta la réunion de la Principauté a la République française ; elle forma un arrondissement du département des Alpes-Maritimes.

1. Disons néanmoins que la Principauté ne pouvait manquer d’être absorbée par la France; si elle ne se fût pas donnée, elle eût été infailliblement prise de force. Mais, dans ce cas, les Monégasques eussent eu le droit de se plaindre des souffrances que leur apporta l’annexion et dont il leur fallut payer l’honneur d’appartenir à la grande nation.

Il n’est pas sans intérêt de rappeler les considérants de ce rapport ; l’histoire contemporaine a rajeuni et adopté les théories de Carnot en fait d’annexion, et nos lecteurs ne seront peut-être pas fâchés de voir comment on justifiait en 1793 certains actes politiques que nous voyons se reproduire de nos jours.

« …Pour établir une théorie sur les réunions des territoires, votre comité diplomatique a dû remonter aux principes.

« Dans toute matière politique, deux points sont à considérer, et c’est à eux que tout se réduit, l’intérêt et la justice ; ils composent tout le droit des gens, et sont le fondement de la morale privée comme de celle des nations….

« Je puis donc conclure sur ce qui vient d’être dit, par ces deux maximes générales qui établissent clairement en politique la différence du juste et de l’injuste : 1° Toute mesure politique est légitime dès quelle est commandée par le salut de l’Etat ; 2° tout acte qui blesse les intérêts dautrui sans nécessité indispensable pour soi-même est injuste.

« J’applique maintenant ces maximes aux réunions, séparations et mutations quelconques de territoire, et je tire de leur rapprochement ce principe qui renferme toute la théorie de ces mutations :

« Aucune réunion, augmentation, diminution ou mutation quelconque de territoire ne peut avoir lieu dans l’étendue de la République sans qu’il soit reconnu : 1° que cette mutation n’a rien de contraire aux intérêts de l’Etat ; 2° que les communes que regarde cette mutation l’ont demandée par l’émission d’un vœu libre et formel, ou que la sureté général la rend indispensable.

« D’après ces développements, je passe à l’application des principes :

« Les limites anciennes et naturelles de la France sont le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Les parties qui en ont été démembrées ne l’ont été que par usurpation ; il n’y aurait donc, suivant les règles ordinaires, nulle injustice à les reprendre, il n’y aurait nulle ambition à reconnaître pour frères ceux qui le furent jadis, à rétablir des liens qui ne furent brisés que par l’ambition elle-même. …..

« Mais ces prétentions diplomatiques, fondées sur des possessions anciennes, sont nulles à nos yeux comme à celles de la raison. Le droit invariable de chaque nation est de vivre isolée s’il lui plaît, ou de s’unir à d’autres si elles le veulent, pour l’intérêt commun. Nous, Français, ne connaissons de souverains que les peuples eux-mêmes; notre système n’est point la domination ; c’est la fraternité ; il n’y a pour nous ni princes, ni rois, ni maîtres quelconques, nous ne voyons sur toute la surface du monde que des hommes comme nous, des êtres égaux en droits.

« …Les procès-verbaux des Assemblées de Monaco constatent que le vœu des citoyens a été unanime, et expriment le désir de voir bientôt leur demande se réaliser. Cette réunion peut donc s’opérer sans injustice ; et en adoptant même les principes de l’ancienne diplomatie, il serait assez facile d’établir que la principauté de Monaco n’était qu’une usurpation, un vol fait à la France. 1

« Mais il n’est pas dans vos principes actuels d’entrer dans ces discussions, et nous comptons pour rien les réclamations des princes contre la souveraineté des peuples ; d’autres motifs doivent vous déterminer.

« Si vous abandonnez ce peuple après la démarche qu’il vient de faire, il ne pourra se soutenir de lui-même, et retombera dans les fers de quelque tyran, ou se trouvera peut- être forcé de se rejeter dans les bras de ses anciens maîtres.

1. Voici un point d’histoire et de géographie fort difficile, sinon impossible à établir. Monaco n’était ni en Provence, ni en Italie; c’était un territoire indécis ; et quand la France acquit la Provence, héritage de la maison d’Anjou, il y avait plusieurs siècles que Monaco était une seigneurie indépendante et reconnue comme telle par les comtes de Provence eux-mêmes.

« La dignité nationale doit donc vous décider à accueillir le vœu des habitants du pays de Monaco. Considéré même sous le point de vue de défense générale, ce pays n’est ‘ point absolument nul ; il recule nos limites jusqu’au pied des montagnes qui les fixent naturellement. Il offre, à Monaco, un petit port qui a quelques avantages. Cette ville est fortifiée et protégée par un château bien situé, qui ferme aux ennemis l’entrée de la République du côté de l’Italie, et rend cette frontière très-assurée.

« Ces motifs ont paru déterminants à votre comité diplomatique, et en conséquence il vous propose de prononcer la réunion du pays de Monaco au territoire de la République, et de décréter que le pays fait partie du département des Alpes-Maritimes.

« Cependant, comme il ne paraît pas que le ci-devant prince se soit déclaré ennemi de la France dans le cours de la révolution, comme il en a même toujours réclamé la protection en qualité de puissance amie et alliée, votre comité pense qu’en anéantissant ses jouissances honorifiques et féodales, ainsi que tout ce qui tient au fisc, elle lui doit protection et sauvegarde pour tout ce qui peut lui appartenir à titre de simple citoyen. La loyauté française, en jetant sur le prestige des grandeurs l’éclat qui les dissipe, n’écrase point celui qui en était revêtu. On peut encore être homme quoiqu’on ait été prince. » C’est bien heureux ! surtout trois semaines après le 21 janvier 1793 !

A la suite de ce rapport fut rendu le décret suivant :

« La Convention nationale, constante dans les principes qu’elle a consacrés par les décrets des 19 novembre et 15 décembre derniers, confirmant les résolutions que les nations libres ont le droit d’aider et de secourir tous les peuples qui voudront conquérir leur liberté, sur le vœu libre et formel qui lui a été adressé par plusieurs communes étrangères circonvoisines ou enclavées, réunies en assemblées primaires faisant usage de leur droit inaliénable de souveraineté, à l’effet d’être réunies à la France comme partie intégrante de la République ; après avoir entendu le rapport de son comité diplomatique, déclare au nom du peuple français qu’elle accepte ce vœu, et, en conséquence, décrète ce qui suit :

« La ci-devant principauté de Monaco est réunie au territoire de la République française, et fait partie du département des Alpes-Maritimes.

« Collationné à l’original par nous, président et secrétaires de la Convention nationale, à Paris, 15 février 1793 (an II de la République).

« Bréard, président ; Cambacérès, Thuriot, F. Lamarque, Prieur, Lecointe, Puyraveau et Pierre Chaudieu, secrétaires. »

Les commissaires de la Convention dans le comté de Nice, Grégoire et Jagot, vinrent annoncer à la Convention de Monaco, dans la séance du 4 mars, que la République française avait décrété la réunion demandée par les trois Communes ; les douze représentants de la Convention de Monaco prêtèrent serment à la République, et l’assemblée fut dissoute. Les nouveaux citoyens français concoururent plus tard avec les habitants des Alpes-Maritimes à l’élection de trois représentants du département à la Convention.1

Pendant que l’ex-principauté, absorbée dans la grande république, en partageait la vie agitée, sans toutefois souiller ses annales des crimes qui ont imprimé une si déplorable tache à la régénération de la société française, et que Monaco, répudiant son vieux nom historique, remontait, selon la manie de l’époque, aux temps antiques pour prendre le nom de Fort-HerculeHonoré III vivait retiré en Normandie, grâce à l’immunité dont Carnot avait bien voulu lui décerner un brevet. Néanmoins les biens personnels de la princesse, qui avait quitté la France, furent confisqués en vertu de la loi sur l’émigration ; et parmi ces biens était compris un magnifique hôtel situé rue Saint-Dominique , où la Commune de Paris établit (janvier 1793) le dépôt de la Légion-Germanique, composée d’Allemands fixés en France ou déserteurs, qui prenaient service dans les armées de la République. Plus tard cet hôtel fut donné comme récompense nationale à l’abbé Siéyès.

1. Dans une géographie républicaine de l’an II (la République française en 88 départements), on lit : « Monaco était la capitale d’une petite principauté qui n’eût pas suffi à l’état que tenait le Prince ; mais comme il avait des biens en France, il se servait de ses revenus pour faire du bien dans le pays. Mais quel bien vaut la liberté ? »

La même année (28 septembre) le Prince lui-même, malgré son grand âge et ses infirmités, fut arrêté en même temps que le maréchal Luckner, le général Quétineau et la comtesse Dubarry, et resta détenu jusqu’au 9 thermidor (28 juillet 1794). Rendu alors à la liberté, il mourut à Paris l’année suivante (12 mars 1795), dans son hôtel de la rue de Varennes, par suite des souffrances de sa dure captivité.

Deux ans après, le palais de Monaco était livré à un pillage légal au milieu duquel furent dispersées les immenses richesses qu’une longue suite de princes y avaient accumulées pendant plusieurs siècles ; on aurait difficilement une idée de l’opulence de cette splendide demeure, si l’on ne réfléchissait que les Grimaldi en avaient fait le trésor où, sous la garde d’une imprenable forteresse, était réuni ce que leur puissante maison avait lentement acquis par la guerre et les expéditions maritimes ; leurs pensions et dignités en France et en Espagne, ainsi que les revenus de leurs nombreux domaines, tout avait contribué à embellir le palais de Monaco des plus rares merveilles de l’industrie et des arts. Mais par suite de la Révolution, il fut considéré comme bien national, et au mois de pluviôse de l’an V de la République, le « Receveur de l’enregistrement et du domaine national » faisait afficher dans tout le département la vente aux enchères des meubles et effets, etc., ayant appartenu au prince de Monaco. l Puis, quand tout fut enlevé, jusqu’aux tentures, jusqu’aux moulures précieuses des lambris, quand de ce vaste château il ne resta plus que les murs nus et les salles dévastées, on y plaça à la hâte de la paille et quelques couvertures, misérable mobilier que la pénurie du trésor républicain n’avait pu fournir que par voie de réquisition, et un jour on y vit arriver, portés sur des mulets, ou se traînant péniblement le long des sentiers de la montagne, une foule d’hommes hâves, déguenillés, couverts de sang, mais conservant encore sous leurs haillons le dernier éclat d’un enthousiasme belliqueux; c’étaient les blessés de l’armée d’Italie, les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, les soldats du général Bonaparte ; le palais était devenu un hôpital. Pendant plusieurs années il conserva cette destination ; combien de ces infortunés ont dû au climat salubre, au printemps éternel de cet éden une guérison que ne pouvaient leur donner les soins hâtifs de quelques chirurgiens !

1. « On observe qu’indépendamment des meubles portés sur cette affiche, on exposera aussi en vente une infinité d’autres objets provenant du démeublement du palais du ci-devant prince, qu’on n’a pas cru devoir écrire pour éviter les frais et le retard qu’aurait pu occasionner leur description détaillée. » (Extrait de l’affiche. Archives du palais de Monaco.)

Ensuite, de 1806 à 1814, le palais fut affecté au dépôt de Mendicité du département des Alpes-Maritimes. Trop vaste pour être tout entier occupé, il y eut plusieurs parties laissées à l’abandon ; aussi, quand en 1814 le palais fut rendu à ses anciens maîtres, était-il dans un état de délabrement difficile à imaginer.

Honoré III avait eu deux fils de son mariage avec Marie-Catherine de Brignole ; l’aîné, le duc de Valentinois, qui régna plus tard sous le nom d’Honoré IV, né à Monaco en 1758, avait épousé en 1777 Louise-Félicité-Victoire, fille unique du duc d’Aumont, pair de France, premier gentilhomme de la chambre, et de Jeanne Durfort de Duras; cette dernière possédait du chef de sa mère la duché-pairie de Mazarin, qui à défaut de mâle passait aux femmes, lesquelles devaient alors en prendre le nom et les armes. C’est ce qui explique pourquoi Jeanne de Duras, et après elle Louise d’Aumont, sa fille, s’intitulaient duchesses de Mazarin, lorsqu’il s’agissait de l’administration de leurs affaires personnelles; Jeanne de Duras portait même ce nom habituellement.

Le second fils d’Honoré III, le prince Joseph, épousa en 1782 Françoise-Thérèse de Choiseul-Stainville, modèle de grâce et de vertus. Cette charmante princesse devait être plus tard la victime réservée pour payer à la révolution sa part du tribut de sang qui fut demandé à presque toutes les grandes familles de France. Le prince Joseph, son mari, l’avait emmenée en émigration dès les premiers dangers, laissant en France leurs enfants confiés à des personnes sûres. Mais trop tendre mère pour consentir à vivre longtemps loin de ses deux filles, la princesse revint bientôt en France, où elle fut immédiatement arrêtée comme suspecte. Elle réussit une première fois à s’évader ; promptement ressaisie, elle comparut devant le tribunal révolutionnaire le 7 thermidor an II, en même temps que Roucher, André Chénier, les frères Trudaine, le conseiller Goëzman, l’ennemi de Beaumarchais, Mme de Vigny, de la famille de l’auteur de Stello et de Cinq-Mars, M. de Saint-Simon, ex-évêque d’Agde, la princesse de Chimay, le baron de Trenck qui n’avait échappé aux cachots de Frédéric de Prusse, le roi philosophe, que pour venir quelques années plus tard périr sur un échafaud républicain ; à la suite de ces noms illustres venait celui d’un modeste et dévoué serviteur de la princesse, Viotte, son intendant.

Elle fut, comme tous ses coaccusés, « convaincue de s’être déclarée ennemie des peuples, en entretenant par l’émigration des intelligences avec les ennemis de la République, en leur fournissant des secours, et en préparant, de complicité avec les tyrans et par toutes sortes de manœuvres criminelles, l’anéantissement de la représentation nationale et le rétablissement de la tyrannie. »

Tous les accusés furent condamnés à mort. Un ami conseilla à la princesse de se déclarer enceinte, ce qui devait faire ajourner l’exécution du jugement; et, gagner du temps, c’était presque sauver ses jours. 1 La princesse Joseph, dans la préoccupation de l’avenir de ses filles, adopta cet expédient ; sur sa déclaration, elle fut reconduite en prison. Mais la première émotion étant calmée, elle réfléchit que ce subterfuge la déshonorerait à cause de l’éloignement du prince Joseph ; et aussitôt elle écrit la lettre suivante :

« Je serais obligée au citoyen Fouquet de Tinville s’il voulait bien venir un instant ici, pour m’accorder un moment d’audience ; je le prie instamment de ne pas me refuser ma demande. »

Signé Grimaldi De Monaco.

1. La duchesse de Saint-Aignan, une des plus intéressantes prisonnières de Saint-Lazare, avait été condamnée la veille avec son mari; son état de grossesse lui obtint un sursis, et quatre jours après, Robespierre et ses amis montaient sur l’échafaud par suite de la réaction thermidorienne. La duchesse de Saint-Aignan était sauvée comme eût pu l’être la princesse Joseph de Monaco.

Puis avec un fragment de vitre, elle coupa elle-même ses longs cheveux blonds qu’elle destinait à ses enfants, et attendit. Le terrible accusateur public ne vint pas. La princesse lui écrit alors une seconde lettre :

« Je vous préviens, citoyen, que je ne suis pas grosse, je voulais vous le dire. N’espérant pas que vous viendrez, je vous le mande. Je n’ai point sali ma bouche de ce mensonge dans la crainte de la mort ni pour l’éviter, mais pour me donner un jour de plus, afin de couper moi-même mes cheveux, et de ne pas les donner coupés de la main du bourreau. C’est le seul legs que je puisse laisser à mes enfants ; au moins faut-il qu’il soit pur. »

Signé : Choiseul-stainville , Joseph Grimaldi-Monaco , princesse étrangère et mourant de l’injustice des juges français. » 1

Le même jour arriva l’ordre de procéder à l’exécution.

1. Extrait du Journal de l’Opposition publié en l’an III, par P.-F. Réal, et qui n’eut que 7 livraisons, n° 2, p. 1re.

Quand

« Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d’infâmes soldats,
Eut rempli de ton nom les longs corridors sombres, »

elle demanda du rouge, de peur que la nature l’emportant, un instant de pâleur ne vînt à faire douter de son courage, et suivit le lugubre cortége. Elle n’avait pas vingt-sept ans ! Sa belle-sœur, la duchesse de Valentinois, qui n’était pas sortie de France, fut également arrêtée et renfermée dans la prison des Anglaises, avec son jeune fils dont elle ne consentit pas à se séparer, et qui plus tard succéda à son frère Honoré V, sous le nom de Florestan Ier. Le 9 thermidor la rendit à la liberté.

Le fils aîné d’Honoré III, Honoré-Anne-Charles-Maurice, duc de Valentinois, était resté en France pendant que son frère, le prince Joseph, prenait le chemin de l’exil. Retiré dans un modeste asile, tantôt en Normandie, tantôt à Paris, il échappa aux poursuites révolutionnaires, et dut à cette circonstance d’être compté parmi les émigrés. A l’époque de la radiation des listes, il reparut, devint à la mort de son père (1795) le chef de la maison Grimaldi, et régna plus tard sous le nom d’HONORÉ IV.

Des jours meilleurs commençaient à luire pour la France ; la révolution se disciplinait sous la main énergique du Premier Consul, et beaucoup de gentilshommes se hâtaient de rentrer dans une patrie que, malgré ses rigueurs, ils n’avaient cessé d’aimer. La plupart n’y retrouvèrent que l’indigence ; leurs châteaux, leurs domaines vendus comme biens nationaux, appartenaient à d’autres. C’est dans ces circonstances que de nombreux héritiers des plus beaux noms de France étaient allés servir dans les camps cette patrie dont ils avaient été trop longtemps éloignés.

Honoré-Gabriel, fils aîné d’Honoré IV, suivant leurs exemples, avait pris du service dans cette belle armée du Rhin, célèbre par sa discipline, et rivale de gloire de l’armée d’Italie. Entré dans un régiment de hussards, il prit part à la bataille de Hohenlinden (3 décembre 1800), où il fut grièvement blessé; plus tard, séduit par l’éclat dont brillait sur le champ de bataille l’intrépide Murat, alors grand-duc de Berg, le prince Honoré ayant été attaché à son état-major, fit avec lui 1 les campagnes de 1806 et 1807 en Allemagne, et en 1808 la première campagne d’Espagne. C’est à cette occasion que l’Empereur le distingua et lui offrit le poste de Grand-Ecuyer de l’Impératrice Joséphine. Honoré conserva à cette princesse un attachement qui ne se démentit jamais ; après le divorce, Napoléon l’avait choisi pour remplir les mêmes fonctions auprès de la nouvelle impératrice, Marie-Louise ; mais le Prince refusa, et continua de faire partie de la maison de Joséphine jusqu’en 1814. L’Empereur ne lui sut pas mauvais gré de cette honorable fidélité au malheur.

1. Avec le prince de Monaco figuraient dans l’état-major du grand-duc de Berg, commandant en chef la réserve de cavalerie, MM. de La Vauguyon, de Ségur, de Rochambeau, de Faudoas, etc.

Pendant les vingt années que la principauté de Monaco fut liée au sort de la France, son histoire particulière s’efface pour n’être plus que le récit de la vie banale de toutes les petites villes de l’Empire. Monaco cependant reçut une assez forte atteinte de la guerre.

… à suivre p. 100