La bonne princesse Louise
Monaco et ses Princes
Par Henri Métivier
p. 49 :
Antoine Ier n’avait eu que des filles de son mariage avec Marie de Lorraine, et, pour la seconde fois, la souveraineté de la principauté allait se trouver aux mains d’une femme, suivant le mode de succession établi dans la maison Grimaldi. Il restait bien un grand nombre de collatéraux éloignés, en Espagne, à Naples, à Gênes. Pendant la guerre de la Succession, deux gentilshommes du nom de Grimaldi avaient servi avec distinction : l’un, en qualité de lieutenant-général dans l’armée espagnole, avait joué un rôle considérable dans les campagnes de Flandre et était devenu commandant de la ville et de la province de Mons (1708) ; l’autre, brigadier dans l’armée espagnole également, se fit remarquer dans les campagnes d’Italie. LesGrimaldi d’Espagne ainsi que ceux de Naples, de Gênes et ceux d’Antibes, descendants du marquis de Corbons, étaient issus de la même tige que les Grimaldi de Monaco ; mais à cette dernière branche seule appartenait Monaco ; cette souveraineté n’était pas un dépôt que la maison des Grimaldi avait confié à une branche pour que l’héritage en revînt ensuite aux autres branches par ordre de parenté ; aussi loin que l’on remonte dans l’histoire positive de la principauté, c’est une seule et même ligne qui en est souveraine exclusive; après l’avoir acquise par elle-même, elle la transmet par ordre de primogéniture, les femmes étant aptes à succéder, au défaut d’héritiers mâles. Quant aux autres Grimaldi, ils accomplissent leurs destinées en devenant de plus en plus étrangers aux princes de Monaco, à tel point que la parenté entre ces diverses branches, partant d’un même tronc, n’est plus qu’une tradition qu’il devient fort difficile d’étayer sur une suite authentique de documents. Les Grimaldi de Monaco étaient donc en droit de céder, aliéner ou transmettre la principauté, comme leur chose propre. Aussi le prince Antoine Ier, pour assurer la perpétuité de sa race et de son nom, s’occupa de trouver à sa fille un époux qui, abandonnant le nom et les armes de ses aïeux, fût substitué aux nom et armes des Grimaldi.Toutefois, cet époux n’aurait aucun droit à la souveraineté de Monaco, qui était le patrimoine de Louise-Hippolyte, et, après cette princesse, celui de ses enfants. L’illustration de la maison Grimaldi exigeait que cet époux fût de haute naissance.
Où trouver un grand seigneur, riche et de bonne renommée, qui consentît à échanger son nom pour l’unique honneur d’être l’époux d’une princesse souveraine ? (Note de Sophie D : j’ai déjà rencontré des changements de patronymes afin de transmettre un patrimoine et perpétuer une lignée dans diverses généalogies de maisons nobles. Ce n’était pas exceptionnel ni juger choquant par les contemporains sauf si bien sûr les détracteurs y voyaient un intérêt financier, l’appat du gain attirait les contestataires) Il ne le ferait qu’à la condition de grands et solides avantages. Antoine le sentit et il songea à obtenir du roi que l’époux qu’il choisirait pour sa fille aînée Louise-Hippolyte, avec l’assentiment de Sa Majesté, lui fût substitué dans sa duché-pairie de Valentinois, qui, d’après sa constitution, ne pouvant écheoir à une femme, allait s’éteindre en sa personne.
Louis XIV, en souvenir des services de Louis Ier, et encore plus de ceux d’Antoine lui-même, octroya gracieusement l’autorisation demandée, et promit une nouvelle érection de la duché-pairie de Valentinois avec rang d’ancienneté à la date de cette érection pour celui qui épouserait la fille aînée du prince de Monaco. Il y ajouta une nouvelle grâce, tout extraordinaire, qui aurait bien moins émerveillé le duc de Saint-Simon, si le caustique et jaloux chroniqueur avait mieux connu les services d’Antoine : le prince était autorisé à se démettre, lui vivant, de son duché en faveur de son gendre, dès la célébration du mariage, avec cette clause, que si le prince de Monaco, démissionnaire du duché de Valentinois en faveur de son gendre, venait à avoir des enfants mâles, soit de Marie de Lorraine, soit d’un second mariage, l’aîné de ses fils lui succéderait, lui et sa postérité, en la dignité et ancienneté de 1642 de la pairie de Valentinois, et dans ce cas, l’époux de Louise-Hippolyte demeurerait duc et pair, sa vie durant, mais sa dignité serait éteinte en sa personne, et ses héritiers reprendraient les noms, titres et armes primitifs de leur père. Ces concessions furent énoncées dans un brevet du 15 juillet 1715, lorsque le prince de Monaco eut choisi et fait agréer au roi son futur gendre. ‘
Les prétendants ne firent pas défaut ; mais il fallait que l’élu réunît deux conditions, une noblesse d’ancienne et illustre origine, et une grande fortune. Les dépenses considérables de Louis Ier, ambassadeur à Rome, les sommes énormes absorbées par la coopération d’Antoine à la guerre de la Succession, et que la France ne remboursa jamais, la nécessité de doter les autres filles d’Antoine, et de donner une compensation à François-Honoré Grimaldi, abbé de Monaco, second frère du prince, qui consentait à céder ses droits éventuels à la succession du duché de Valentinois, toutes ces raisons exigeaient que l’époux de la jeune héritière de la Principauté fût assez opulent pour subvenir à de si nombreuses charges. Parmi les prétendants se distinguaient le comte de Roye, le marquis de Châtillon, le prince Charles de Lorraine et le comte de Roucy. Ce dernier, quoique assez peu favorisé de la fortune, réussit, grâce à l’appui du chancelier de Pontchartrain, grand ami du prince, de MM. de la Roche-foucault et de la Roche-Guyon, à gagner l’assentiment d’Antoine. Mais il fallait, d’après les termes du contrat de mariage d’Antoine avec Marie de Lorraine, que cette princesse approuvât aussi ce choix. La princesse de Monaco saisit cette occasion de contrarier son époux; et pour appuyer son refus, elle argua avec raison du peu de fortune de M. de Roucy.
1. Voir aux pièces justificatives, n° 3, un extrait du texte de ce brevet.
Ce prétendant écarté, il s’en offrit un autre qui remplissait toutes les conditions, Jacques-François-Léonor de Goyon, fils de Jacques III de Goyon, sire de Matignon et de la Rocheguyon, seigneur du duché d’Estouteville, comte de Thorigny et de Saint-Lô, etc…., chevalier des ordres du roi, lieutenant-général des armées du roi et de la province de Normandie, gouverneur des villes et châteaux de Cherbourg, Granville, Saint-Lô, Saint-Michel et des îles Chaussey, etc…… Il était « issu d’une maison ancienne et illustre qui a possédé en Bretagne, dont elle est originaire, (Note de Sophie D. : ils ont oublié de mentionner que les Goyon de Matignon étaient installés depuis plusieurs générations en Normandie (au château de Thorigny à 20 min de Saint-Lô) et avaient eu diverses alliances avec de grandes familles normandes dont les d’Harcourt, etc. Parole de Normande élevée en Bretagne non mais…) les plus hautes dignités du temps des ducs, celles d’amiral, de maréchal, de grand-chambellan. En France, les Goyon-Matignon avaient été revêtus des dignités de grand-écuyer, de maréchal de France, etc… Enfin, par les alliances illustres où cette maison a l’avantage d’être entrée, le comte de Thorigny a l’honneur d’être issu en droite ligne des maisons de Châlons, de Bourgogne-Hochberg, d’Orléans-Longueville, de Rohan, d’Estouteville, de Luxembourg, de Bretagne, de Savoie et de Bourbon, Jacques, comte de Matignon, son père, étant arrière-petit-fils de Marie de Bourbon, fille de François de Bourbon, prince du sang de France, oncle d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, père du roi Henri IV. » ‘
Autre avantage : le comte de Goyon-Matignon possédait de très grands biens qui lui permettraient de faire face aux obligations qu’il acceptait, et de soutenir avec splendeur le rang où il s’élevait.
Les deux familles de Monaco et de Lorraine s’étant accordées pour accueillir le comte de Goyon-Matignon et de Thorigny, le mariage fut célébré à Monaco le 24 octobre 1715, six semaines après la mort de Louis XIV ; et par lettres patentes de décembre 1715, Louis XV, ou plutôt le duc d’Orléans, régent, investit le nouveau duc de sa dignité ; ces lettres furent enregistrées le 2 septembre 1716 par le Parlement de Paris, et le 14 décembre suivant, Jacques-François-Léonor Grimaldi, duc de Valentinois, fut reçu au Parlement comme pair de France ; une querelle d’étiquette entre les princes du sang et les légitimés de Louis XIV avait ajourné de près d’un an la convocation des pairs en Parlement. Voici ce que rapporte à cet égard un contemporain :
1. Lettres patentes d’érection de décembre 1715.
La maison de Goyon-Matignon justifie par titres authentiques d’une ancienneté antérieure aux croisades ; parmi les membres de cette noble famille, on remarque deux maréchaux de France, dont le premier, Jacques de Matignon, prince de Mortagne, comte de Thorigny, fut un des plus vaillants capitaines du XVIe siècle. Au sacre de Henri IV, il remplit l’office de connétable, et entra à Paris à la tète des Suisses lors de la reddition de cette capitale. 1l était aussi gouverneur de la Guyenne et chevalier du Saint-Esprit dès la fondation de l’ordre. Citons encore sept évêques depuis 1580 jusqu’en 1745.
« Le nouveau duc s’alla marier à Monaco, et quand il revint, il trouva les princes du sang et les bâtards aux prises sur le traversement prétendu du parquet par les derniers, tellement que pour éviter des inconvénients personnels, M. le duc d’Orléans suspendit l’enregistrement de Valentinois , où les uns et les autres avaient résolu de se trouver. » ‘
Antoine Ier passa les quinze années qu’il vécut encore à Monaco, au milieu de ses sujets dont il s’efforçait de faire le bonheur, et qui ont pieusement conservé sa mémoire. La ville lui doit de nombreux travaux ; pendant la guerre de la succession d’Espagne, le Prince fit construire des casemates pour mettre la population à l’abri d’un bombardement ; un des forts porte le nom d’Antoine ; la grande citerne de la pointe de Saint-Martin avec les bastions et batteries qui s’y joignent, est également due à ce prince, qui ouvrit aussi une route carrossable par le cap Martin, en 1713. En 1724, il avait été admis dans les ordres du roi, et il mourut en 1731, après avoir vu son frère, l’abbé de Monaco, pourvu de l’archevêché de Besançon (1723).
1 Mémoires du duc de Saint-Simon.
Nous avons vu qu’à la mort de Catalan, Lambert, époux de Claudine, fille de ce seigneur, n’avait exercé le souverain pouvoir, dont avait hérité Claudine, qu’en vertu d’une délégation de la seule Souveraine de Monaco.Il n’en fut pas tout-à-fait de même à la mort d’Antoine Ier : les Monégasques ne voulurent reconnaître que l’autorité de Louise-Hippolyte seule ; et Jacques-François-Léonor, revêtu du titre et des prérogatives effectives attachées à la dignité de duc de Valentinois, pair de France, revint à Paris pendant que la princesse de Monaco prenait en main l’administration de son petit état. Le 26 avril, elle reçut la prestation de serment de fidélité des syndics de Monaco, au nom de la population ; le 27, le serment des syndics de Roquebrune , et le 30 celui des syndics de Menton.
La fille d’Antoine justifia la prédilection de ses sujets, qui gardent précieusement le souvenir de la bonne princesse Louise. Elle administra avec une sollicitude et une douceur toutes maternelles que rendaient possibles plus que partout ailleurs les mœurs paisibles et honnêtes des heureux habitants de ce coin de terre privilégié. Mais ce règne fut trop court ; Louise-Hippolyte mourut onze mois après son père (29 décembre 1731), à l’âge de trente-quatre ans, laissant plusieurs enfants, dont l’aîné n’avait que onze ans. (Note de Sophie D. : La princesse est décédée des suites de la variole.)
Généalogie
Source La Chesnaye-Desbois et autre.
Mariages et enfants :
Mariée le 20 octobre 1715, Monaco, avec
Jacques I François Léonor de GOYON, Sire de Matignon 1689-1751 , dont
- Antoine Charles Marie GRIMALDI 1717-1718, mort en bas âge
- Charlotte Thérèse Nathalie GRIMALDI, Mademoiselle de Monaco, religieuse à Paris 1719
- Honoré III de MONACO, Prince de Monaco 1720-1795 marié en 1757 2 enfants
(dont Joseph qui épousa Thérèse Françoise de Choiseul Stainville voir les articles la concernant) - Marie Charles Auguste GRIMALDI, Comte de Carladès 1722-1749
- N. GRIMALDI 1723-1723
- Louise Françoise GRIMALDI, Mademoiselle de Baux 1724-1729
- François Charles Madelene Joseph GRIMALDI, Comte de Thorigny 1726 – 1743
- Charles Maurice GRIMALDI, Chevalier de Malte de minorité 1727 – 1790
- Marie Françoise Thérèse GRIMALDI, Mademoiselle d’Estouteville 1728-1743