Thèrèse Françoise de Choiseul Stainville, l’Ange de Monaco – partie 2

HISTOIRE DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIBE DE PARIS

949. — PARIS, IMPRIMERIE A, LAHURE
9, rue de Fleurus
AVEC LE JOURNAL DE SES ACTES
PAR H. WALLON Membre de l’Institut

TOME CINQUIÈME

P. 162

[…]

La charrette envoyée à la maison des Oiseaux ce jour-là n’en avait emmené que onze détenus. Elle alla compléter son chargement à Port-Libre et au Plessis.

Au Plessis, elle reçut Thérèse-Françoise de Stainville, princesse de Grimaldi-Monaco2 la femme Monaco, comme disait Fouquier : « Jamais, dit un de nos récits, plus de grâces, de charmes, d’esprit et de courage ne furent réunis dans la même personne. » Déclarée suspecte en vertu de la loi du 17 septembre, et d’abord gardée chez elle, elle avait pris la fuite, ayant su qu’on la voulait mettre en prison, et elle fut recueillie par une amie qui brava les perquisitions pour lui sauver la vie. Mais ne voulant pas la compromettre, elle gagna la campagne, puis revint à Paris, où elle fut arrêtée3. Quand on lui remit son acte d’accusation, elle refusa de le lire : « Pas la plus légère émotion n’altéra ses traits ; elle distribua aux indigents, qu’elle soulageait habituellement, tout l’argent qui lui restait, embrassa sa femme de chambre, et se sépara de nous, comme après une longue route on quitte des compagnons de voyage dont la société nous fut utile et douce4 »

1. Archives, W 433, dossier 972, 2° partie, pièce 95.2. Fille du maréchal de Stainville, nièce du duc de Choiseul.3. Hist. des prisons, t. III, p. 119.4. Mém. sur les prisons, t. II, p, 272.

LA PRINCESSE DE MONACO. p. 163

Condamnée (8 thermidor), elle se déclara grosse ; mais dès le lendemain (le 9 thermidor ! que n’attendit-elle un jour de plus?), elle écrivit à Fouquier-Tinville pour retirer sa déclaration ; elle n’avait voulu gagner un jour que pour couper elle-même sa chevelure et l’envoyer à ses enfants, comme elle le disait à Fouquier dans sa lettre :

Citoyen,

Je vous préviens que je ne suis pas grosse. Je voulois vous le dire; n’espérant plus que vous veniez, je vous le mande. Je n’ai point salit ma bouche de ce mensonge dans la crainte de la mort ni pour l’éviter, mais pour me donner un jour de plus, afin de couper moi-même mes cheveux, et de ne pas les donner par les mains du bourreau. C’est le seul legt que je puisse laisser à mes enfants ; au moins faut-il qu’il soit pur.

Choiseul-Stainville-Josèphe Grimaldi-Monaco,
Princesse étrangère, et mourant de l’injustice des juges français.

Et au dos :
Au citoyen Fouquet de Tinville, très pressé1.

Elle arracha ses cheveux avec un morceau de verre, elle y joignit des lettres pour ses enfants, pour leur gouvernante, et c’est Fouquier-Tinville qu’elle chargeait de l’envoi par ce billet tracé d’une écriture belle et ferme :

Citoyen,

Je vous demande au nom de l’humanité de faire remettre ce paquet à mes enfants : vous m’avez eu l’air humain, et, en vous voyant, j’ai eu regret que vous ne fussiez pas mon juge; je ne vous chargerois peut-être pas d’une dernière volonté si vous l’ussiez été. Ayez égard à la demande d’une mère malheureuse qui périt à l’âge du bonheur, et qui laisse des enfants privés de leur seule ressource ; qu’au moins ils reçoivent ce dernier témoignage de ma tendresse, et je vous devrai encore de la reconnaissance.


1. Archives, W 431, dossier 968, pièce 7.

164 CHAP. XLIX. — CONSP. DES PRISONS : LES OISEAUX, ETC.

Fouquier a-t-il envoyé les cheveux à leur adresse? Je ne sais. Quant aux billets, « il les plaça, dit M. Campardon, parmi les papiers de sa correspondance ordinaire, et ils y sont encore1 »

L’arrêt du tribunal qui la déclare non enceinte et ordonne que l’exécution ait lieu dans les vingt-quatre heures est du 9 thermidor2. Elle se trouva donc sur la dernière charrette. Elle périt quand Dumas, qui venait de signer son arrêt d’exécution en la chambre du conseil3 était déjà lui-même arrêté.

Un de nos récits ajoute aux derniers moments de la princesse de Monaco un trait qui, s’il est vrai, serait bien de son temps : avant de partir pour l’échafaud, elle aurait mis du rouge afin de dissimuler sa pâleur si elle avait eu un moment de faiblesse4. Tous les témoignages s’accordent d’ailleurs à nous dire avec quelle force et

 

  1. Ces deux billets sont écrits sur deux petits carrés de papier. Celui que la condamnée adresse à la gouvernante est enveloppé dans un autre quart de feuille portant ces mots : « La citoyenne Chenevoy, gouvernante de mes enfants, rue de Monsieur. » (Archives, W 121, n° 100.) Voy. Campardon, le Trib. révol. de Paris, t. I, p. 411-413.
  2. Archives, W 432, dossier 971, 2e partie, pièce 47.
  3. Archives, W 431, dossier 968, pièce 47. L’ordonnance visant le rapport des médecins porte sur Mmes Talleyrand-Périgord, Butler, Narbonne-Pelet en même temps que sur la princesse de Monaco, avec le considérant que l’on a vu déjà :
    « Attendu…. qu’il n’étoit pas possible que dans la maison d’arrêt où elles étoient détenues elles puissent avoir des connnunications intimes avec des hommes,
    « Attendu enfin que la femme Grimaldi-Monaco est convenue par lettre à l’accusateur public qu’elle n’étoit pas grosse et qu’elle n’avait supposé sa grossesse que pour exister un jour de plus,
    « Le tribunal…. (Ordre d’exécution ; 9 thermidor.)
    Signé : Dumas, Deliège, Félix, Maire, Paillet, Laporte, Scellier, Lohier, Coffinhal.
    Lécrivain (greffier)
  4. Hist. des prisons, t. III, p. 119.

CLERMONT-TONNERRE, Mmes DE NARBONNE-PELET, ETC. p. 165

quel calme en même temps on la vit encourager les autres et marcher à la mort.

Au nombre des accusés mis en jugement avec elle, on trouvait des hommes vénérables par leur âge comme par leur dignité : Frécaut-Lanty, ex-doyen du grand conseil, âgé de quatre-vingt-un-ans; le comte de Thuart (soixante-douze ans) ; le comte de Clermont-Tonnerre (soixante-quatorze ans) ; d’autres nommés plus haut et, on l’a vu aussi, beaucoup d’autres nobles dames : la veuve de Darmentieres, ancien maréchal de France, la princesse de Chimay, les deux comtesses de Narbonne-Pelet, Tune âgée de soixante-onze ans, l’autre de trente, et leur femme de chambre ; la marquise de Colbert-Maulevrier, la comtesse d’Ossun, la marquise de Querhoent. Mais la princesse de Monaco fit une telle impression, que le jugement qui réunit trente personnes d’origine si diverse et sans aucun rapport entre elles, est donné dans la Liste très exacte sous ce titre : Affaire de l’ex-princesse Monaco1.

Voici la liste telle qu’elle fut soumise par Dumas au verdict du jury :

1. Jean-Bon Moineau, 37 ans, ex-prêtre.

2. Louis Janthias (lire Janthial), ex-prêtre, 54 ans.

3. Rose-Françoise Laboullaye, fille, 50 ans, ex-noble.

4. Jean Martin, dit Henry, ex-curé.

  1. Numéro 2542-2572 (il y a un numéro passé). Dans le procès-verbal d’audience on ne s’est pas donné la peine de nommer tous les accusés. On s’arrête au n° 18 inclusivement : veuve Raymond-Narbonne. On nomme encore les trois témoins et le reste est en blanc jusqu’aux signatures (Archives, W 432, doss. 971, 2e partie, pièce 92). Le jugement est de ceux qui se rédigeaient et se signaient, pour la grande partie, à l’avance : les noms des accusés sont écrits d’une écriture fort resserrée à la fin de la 3e page, parce que la 4e commence par les mots ont été tous traduits, etc. Au contraire on a dû écarter beaucoup les ligues de l’avant-dernière et de la dernière page pour atteindre aux mots fait et prononcé le 8 thermidor {ibid., pièce 95).

166 CHAP. XLIX. – CONSP. DES PRISONS : LES OISEAUX, ETC.

5. Marie-Anne Leroy, fille, 21 ans (elle dit en avoir 30), attachée au théâtre rue Feydeau.

6. Amhroise-Ferdinand Decaix, 59 ans, prêtre, ex-curé, chanoine régulier.

7. Jacques Guillemeteau, ex-curé, 56 ans.

8. Jean Buis, 41 ans, né à Lisieux.

9. J.-B. Henry Postel, dit Desminières,45 ans, ex-conseiller au parlement de Rouen.

10. Jacques-François Laurent, 34 ans, marchand épicier, agent de la commission du commerce.

11. J.-B. FourniER, 27 ans, ex-commis des guerres.

12. Martin Ribeyrex, 54 ans, ex-noble, ne faisant rien, ex-officier municipal.

13. Marie-Charlotte de Senneterre, veuve d’Armantières, ex-noble, 44 ans, ledit d’Armantières (Darmentières), ci-devant maréchal de France.

14. Madeleine-Charlotte Lepelletier , veuve Chimay, ex-princesse, 54 ans.

15. Jules-Charles-Henri de Clermont-Tonnerre, ex-duc, ex-lieutenant général, 74 ans.

16. Anne-Emmanuel-François-George Crussol d’Amroise, ex-marquis, ex-commandant de la ci-devant province de Normandie, ex-constituant, 67 ans.

17. Claude-Pierre Vigny, 26 ans ; son père maître des comptes.

18. Adélaïde-Marie-Thérèse Nonant Pierrecourt , veuve Raymond Narronne-Pelet, ex-comtesse, 50 ans.

19. Charlotte-Jacqueline-Françoise Manneville, veuve Colbert-Maulevrier, 63 ans, ex-noble.

20. Jacques Frécaut-Lanty, 80 ans, ex-noble et doyen du grand conseil.

21. André-Jean-Marie Bruny, 61 ans, rue du Théâtre-Français, major avec rang de colonel dans la légion de l’Ile-de-France, ex-noble.

22. Louise-Cécile Quevrin, femme de chambre de la femme Narbonne, 22 ans.

9 THERMIDOR, 1- SECTION. 167

23. Geneviève Grammmont, veuve Dossun , ex-comtesse , 44 ans (son mari maître de camp), dame d’atour de l’infâme Antoinette.

24. Charles-François-Siméon Saint-Simon, ex-noble, ex-évêque d’Agde, 70 ans.

25. Félicité Lopriac Donze, veuve Querrhoent, ex-marquise, 58 ans; son mari brigadier des armées.

26. Henri-Charles Thiart, ex-comte, ex-lieutenant général, 72 ans, ex-cordon bleu.

27. Marie-Félicité Duplessis Chatillon Narbonne Pelet, ex-noble, ex-comtesse, 71 ans.

28. Thérèse-Françoise de Stainville, femme Grimaldi-Monaco, 26 ans, ex-princesse.

29. Adrien-Denis-Benoît Viotte, homme d’affaires de l’ex-prince de Monaco, 45 ans.

30. Guillemette-Marie Guichard, veuve Viguier, 51 ans; le mari maître des comptes à Paris, ex-noble1.

IV

9 thermidor, 1re section : Puy de Vérine; les époux Loison, ex-nobles, montreurs de marionnettes; 2e section : Aucane, Béchon d’Arquian, Courlet-Beaulop; Mme de Maillé; Dumas arrêté sur son siège au milieu de l’audience; accomplissement du sacrifice.